Agenda républicain
Quintidi. 15 Floréal
Jour du VER-A-SOIE.
Quintidi. 15, VER-A-SOIE. Cet insecte est le plus intéressant à connoître après l’abeille, par les ressources qu’il fournit à nos manufactures. En suivant ses différens états, on aura une idée de la manière dont les papillons subissent en général leurs étonnantes métamorphoses.
Pour élever les vers-à-soie, on prend les œufs qui ont été déposés par les femelles sur des morceaux de taffetas. Ces œufs sont ronds et pâles ; ils prennent ensuite une teinte grisâtre, à mesure que les petites larves qui s’y forment se développent ; enfin, une chaleur soutenue à environ dix-neuf degrés du thermomètre de Réaumur, les fait éclore vers le commencement du printems. Ils rompent leur enveloppe et paroissent comme de petits vers, très-déliers. On leur donne ordinairement pour nourriture des feuilles de mûrier tendre ; mais leur développement trop tardif à Paris oblige à recourir à des feuilles de laitue. Ces petits animaux filent presqu’en naissant et même avant d’avoir mangé. Si quelque accident les fait glisser, ils se soutiennent à l’aide de ce fil. Douze onces de graines produisen 4, à 500,000 vers. On les appelle vers à cause de leur ressemblance avec ces animaux ; mais ce sont de véritables larves, c’est-à-dire, qu’ils cachent sous une enveloppe d’une forme bien différente l’insecte parfait qui doit un jour se développer. Le mot Ver-à-soie est donc impropre : il faudroit dire larve-à-soie ; mais l’usage a prévalu : les Naturalistes qui ne déterminent les insectes que dans leur état parfait, l’appellent phalène du mûrier.
Il faut une grande propreté pour conserver le ver-à-soie, et sa conduite exige beaucoup de soin. Il change plusieurs fois de peau ; celle qui le contenoit d’abord se rompt à mesure qu’il grossit. Cette opération paroît pénible ; il commence par fendre cette peau vers la tête, dont le masque tombe quelquefois séparément. Il se débarrasse ensuite du reste de sa dépouille en la plissant et en la poussant vers l’autre extrémité.
Au bout de cinq semaines, le ver-à-soie est d’un assez beau blanc ; on distingue aisément sur lui les six pattes écailleuses qu’il doit conserver, les dix membraneuses qu’il doit perdre, les dix-huit stigmates par lesquels il respire, les quatre croissans qui lui sont particuliers, et enfin l’épine qu’il porte sur le dernier anneau. Il dévore alors de grandes feuilles de mûrier en un seul jour. Cette surabondance de nourriture tourne en soie, et il monte pour filer sur les petites branches de bruière qu’on lui présente.
La soie est un mucilafe végétal combiné avec une huile animale particulière, qui lui donne sa souplesse, sa ductilité et son elasticité. Elle se dessèche et prend de la consistance aussi-tôt qu’elle éprouve le contact de l’air. Les premiers fils du ver-à-soie ne sont qu’une bourre grossière. L’animal s’établit sur le premier réseau, et par les mouvemens réguliers de sa tête, il construit une coque qui dès le second jour est opâque, et dont le travail intérieur est terminé en moins de sept ou huit jours. Elle est d’un seul fil qui a 700 et même 1000 pieds de longueur ; il est si délié, que l’organsin des taffetas et des gazes les plus fines est de quatre ou cinq brins, et ordinairement de sept ou huit. La soie des derniers fils est trop foible et trop gommée pour être détachée. On met les cocons dans un four, au soleil, ou à la fumée de l’eau bouillante, afin de faire périr l’animal, autrement il jette une liqueur qui altère la soie. Lorsque l’on conserve le cocon, l’insecte y subit une nouvelle métamorphose ; il devient chrysalide, vulgairement fève. On apperçoit à travers la pellicule qui l’enveloppe, les pattes, les aîles et les antennes de l’insecte parfait : bientôt cette pellicule se rompt, et il en sort une phâlène, ou papillon de nuit, reconnoissable à ses antennes en peigne et à ses aîles rabattues. Les femelles sont presque toujours immobiles ; les mâles plus petits agitent beaucoup leurs aîles, mais volent très-peu. Les uns et les autres meurent quelques jours après la ponte, sans avoir pris de nourriture.
Au Mogol et au Bengale, l’insecte est élevé en plein air ; mais les essais de ce genre, faits en Europe, n’ont pas réussi. Ces insectes n’y peuvent échapper à la voracité des oiseaux, des rats et à l’intempérie des saisons. Plusieurs personnes se sont beaucoup occupées de l’éducation du ver-a-soie, et on est parvenu à faire, avec le produit de la même graine, jusqu’à trois éducations, dont la seconde étoit née de la première, et la troisième de la seconde.
La matière fournie par le ver-a-soie, est employée à différens usages : la bourre ne peut se dévider ; on la carde, on la file, et elle s’appelle alors filoselle. Les cocons, après avoir donné toute la soie qu’on peut en dévider, deviennent la matière des fleurs d’Italie ; on les joint aussi à la bourre, et on les carde.
La soie n’étoit pas connue des Grecs. Rome, dans son plus grand luxe, n’en reçut l’usage que par quelques étoffes qui venoient de la Chine ou d’un pays voisin. Le ver-a-soie fut apporté, pour la première fois, de la Perse à Justinien ; il fut multiplié dans la Sicile vers 1130. L’éducation du ver-a-soie s’introduisit ensuite dans les parties Méridionales de la France. La première fabrique de soie établie en France, date de 1400. On planta ensuite des mûriers en Touraine. Nos manufactures de soie sont devenues très-florissantes : les plus considérables sont à Commune-Affranchie.
La soie reçoit différens noms, selon les préparations qu’elle a subi. On l’appelle soie crue, soie cuite, soie décreusée, organsin, etc. Le mucilage végéto-animal qui la fournit donne un acide particulier appelé acide Bombique.