Agenda républicain
Duodi 22 Nivôse
Jour du Sel.
Duodi 22, Sel. Les substances salines sont très multipliées dans les arts. L’analyse chimique en a encore découvert un plus grand nombre plus ou moins composés. Ils portent tous différens noms qui indiquent à la fois la base et l’aggrégé. On les distingue en sels oxides et sels alkalis et en sels neutres, sans parler des sous-divisions que les découvertes nouvelles ont forcé d’établir.
Le sel, dont il est ici question, est celui qu’on appelle sel marin, sel de cuisine, sel. Il est parfaitement neutre, c’est-à-dire, que son acide est intimement combiné avec un des deux alcalis fixes, la soude. Les chimistes l’appellent muriate de soude, pour indiquer cette combinaison de l’acide muriatique avec la soude.
Le sel est répandu en quantité considérable dans la nature, on le trouve en grandes masses dans l’intérieur de la terre, en Espagne, en Calabre, en Hongrie, et en Moscovie ; il est alors confus, en bloc, et sans crystallisation : on l’appelle sel gemme à cause de sa transparence. Les mones de Wieliscka en Pologne, sont les plus célèbres ; elles ont une étendue immense, des bâtimens nombreux y forment presqu’une ville souterraine. Les voyageurs nous en ont donné des relations curieuses.
Le sel s’obtient aussi par l’évaporation de l’eau de la mer et de celle des lacs et des fontaines salées. On employe pour l’avoir des procédés différens ; on retient l’eau de la mer dans des foffes, et on la laisse évaporer fpontanément par l’action du soleil. Cette méthode est en usage sur les côtes de nos départemens méridionaux ; le sel impur qu’on obtient ainsi s’appeloit sel de gabelle ; les havres où l’eau de la mer subit ; cette évaporation fpontanée, se nomment marais salans.
Dans d’autres parties de la République, on fait évaporer l’eau de la mer dans des bassines par l’action du feu, et on obtient un sel plus pur que le premier. C’est ainsi qu’on le prépare dans nos départemens des côtes de la Manche, de celles du Nord et du Morbihan.
C’est dans les départemens de la Meurthe et du Jura que sont les fontaines salées les plus abondantes ; on les appelle salines. On y évapore l’eau en faisant pleuvoir finement par des robinets sur des fagots placés dans un hangard nommé bâtiment de graduation ; il s’en évapore une partie ; la plus chargée de sel se traite dans des chaudières. Tout l’art du saunier ou fabriquant de se, consiste à faire bien crystalliser le sel marin, et à le débarrasser entièrement des corps étrangers qui l’altèrent.
Le sel a une saveur très-connue ; il crystallise en cubes, décrépite ou pétille sur le feu, et attire l’humidité de l’air ; il corrige la fadeur des alimens ; c’est un fondant assez actif employé avec succès dans les cas scrophuleux ; en lavemens, c’est un stimulant utile contre l’apoplexie ; en petite dose, il accélère la fermentation putride, et c’est ainsi qu’il facilite la digestion, en hâtant dans l’estomach l’altération des substances alimentaires. En grande messes au contraire, c’est un antiseptique puissant, et on s’en sert pour conserver le poisson, les olives, le lard, et une infinité de substances ; enfin le sel est utile à la santé des brebis, et à la fertilisation des terres.
C’est donc un des grands bienfaits de la révolution d’avoir mis cette substance à un prix commun pour tous les départemens ; avant cette époque, il y avoit des provinces où il s’elevoit à quatorze sous la livre, tandis que d’autres, il ne coutoit que deux liards. Cet impôt s’appeloit la gabelle, et il causoit une guerre continuelle entre les commis et les contrebandiers ou fau-sauniers : les provinces étoient distinguées en pays de gabelle et pays rédimés. L’immense consommation qu’on en fait aujourd’hui, prouve assez l’utilité de cette substance.
Le sel est connu de toute antiquité ; cependant quelques peuples, tels que les Numides, en ont long tems ignoré l’usage. Les anciens s’en servoient pour conservers le corps des grands hommes et des animaux sacrés. On le regardoit lui même comme divin. Il entroit dans les aspertions, les fumigationset dans différents rites du paganisme. Nos prêtres qui ont imité les leurs, le mêlent encore à leur eau lustrale ; s’en servent dans les cérémonies de baptême, et dans plusieurs autres.