Agenda républicain
quintidi 25 vendémiaire
Jour du bœuf.
Ce mammifère est le plus utile de tous ceux que l’homme a rendu les compagnons de ses travaux. Il n’a point de dents antérieures à la mâchoire supérieure, il en a huit à la mâchoire inférieure. Il porte sur la tête des cornes concaves, recourbées en croissant ; ses pieds sont ongulés et ses mamelles inguinales. La femelle porte pendant neuf mois ; il vit quatorze à quinze ans.
Quand il vient de naître on l’appelle veau ; adulte c’est le taureau. Le bœuf n’acquiert ce nom qu’après avoir subi la castration. On le fait pâturer pendant l’été et on le nourrit avec du foin pendant l’hiver. Il mange vite, et ensuite il rumine ; c’est-à-dire qu’il fait passer successivement ses aliments dans ses quatre estomacs. Il dort d’un sommeil léger et se réveille au moindre bruit. La grande chaleur et le grand froid l’incommodent. On reconnait son âge à ses dents et à ses cornes. Sa grandeur varie comme sa couleur. Les rouges sont très-estimés, les gris pommelés ne valent rien pour le travail.
Le bœuf est l’ouvrier le plus utile de la ferme ; il n’est pas bon pour porter des fardeaux, mais il partage avec le cheval l’occupation des charrois. Les anciens l’attelaient à des chars pour voiturer les femmes. Il traînait autrefois des carrosses ; enfin il sert à charrier les denrées et surtout à tirer la charrue : cet usage qui remonte à la plus haute antiquité, est consacré dans les anciens poèmes et sur les médailles des villes de la grande Grèce renommées pour la fertilité de leur territoire.
Quand le bœuf a été employé à la charrue, ce qui se fait avec succès depuis trois ans jusqu’à dix, on l’en retire pour l’engraisser. Le mois germinal est le plus favorable, parce qu’on est sûr que l’animal sera gras en Vendémiaire. On le laisse sans travailler, on lui donne une nourriture succulente, du sel et beaucoup d’eau, il devient si gras qu’il peut à peine marcher.
Les marchands de bœufs le conduisent dans les foires à petites journées et il est livré au boucher. Sa chair est succulente et délicieuse. Tout le monde en connait l’usage : on l’emploie fraîche, ou on la sale, on la sèche, et on la fume pour la conserver.
La dépouille du bœuf est aussi utile que sa chair ; le cuir tanné et corroyé est employé par les cordonniers les bottiers, etc. Son poil qu’on appelle bourre, sert au bourrelier pour faire des selles et des bâts. Sa corne entière servait aux anciens de base à boire. Les bouviers en font une trompe rustique pour conduire les bestiaux dans les prairies ; le berger Pâris est représenté sur les monuments avec une semblable corne au côté. Les cornes de bœuf enlacées servent encore à fortifier les murs de terre. Cette corne débitée, sciée, tournée ou fondue par le tabletier, sert à fabriquer des boîtes, des peignes, des cornets à trictrac, etc.
La graisse ou suif de bœuf sert à espalmer les vaisseaux et à leur donner le suif. Mêlée à la graisse de mouton elle fait de la chandelle.
Le sang de bœuf est employé pour clarifier différentes substances, telles que le sucre. Il entraîne par son mucilage toutes les autres matières qui les souillent ; le sel sert pour blanchir et dégraisser les étoffes.
On retire d’une enveloppe les intestins du bœuf une membrane nommée Baudruche dont se servent les batteurs d’or ; elle est utile pour la guérison des coupures, et d’ailleurs assez impénétrable aux gas élastiques, pour faire des ballons aérostatiques.
On fait avec le pied de bœuf une huile excellente à brûler. Les pieds, les tendons, les cartilages, les rognures de la peau bouillies, sont la matière de la colle forte dont se servent les menuisiers.
Les excréments du bœuf font un excellent fumier.
Le bœuf a l’habitude de se lécher ; il enlève le poil de sa peau avec sa langue qui est très rude. Cette substance indigeste forme dans son estomac des pelottes rondes connues sous le nom d’égagropiles ; la superstition a attribué à cette substance, que l’on conserve dans les cabinets, des propriétés toutes mensongères.
Il n’est pas étonnant qu’avec tant d’avantages le bœuf ait attiré le respect des peuples superstitieux. Les Egyptiens l’adoraient sous le nom de Boeuf Apis : les habitants de l’Inde lui rendent encore un culte. Par tout le bœuf est traité avec le plus grand soin, et l’on s’est étudié à l’élever, à le multiplier, à prévenir et à guérir ses maladies.