Agenda républicain
nonidi 19 vendémiaire
Jour du tournesol.
Ce nom est donné à plusieurs plantes qui se tournent toujours du coté du soleil, telles que l’Héliotrope, l’Hélianthe ou soleil ; il indique ici une substance végétale tirée d’une plante très différente et qui est d’un grand usage dans les arts.
La plante qui donne le Tournesol se nomme vulgairement maurelle ; les botanistes l’appellent le croton des teinturiers, elle est commune aux environs de Montpellier et dans les départements de Vaucluse et de l’Isère : sa racine un peu fibreuse est longue, blanche et roide ; sa tige ronde porte des feuilles d’un vert pâle, ses fleurs, qui ressemblent à des petits boutons, forment des espèces de grappes, un fruit d’un verd foncé leur succède ; il est à trois logés et renferme une semence ronde et blanche.
Ce n’est que vers le mois Thermidor que le croton a acquis sa maturité, et sa récolte dure jusqu’aux premiers jours de Vendemiaire ; les enfants se répandent dans les campagnes, le cherchent avec soin, et reviennent chaque jour chargés d’un butin plus ou moins considérable selon leur activité et leur industrie. Il faut que cette plante soit employée fraîche afin que le suc n’ait encore subi aucune altération. On exprime ce suc dans un moulin par un temps sec, quelquefois on le laisse reposer, quelquefois on le fabrique sur le champ. On verse un pot d’urine sur trente pots de suc. On teint avec cette liqueur des toiles de chanvre grossières et communes. On frotte ces toiles pour qu’elles soient mieux imbibées, on les fait sécher au soleil, on les pose ensuite au dessus d’une chaudière dans laquelle on fait bouillir de l’urine avec de la chaux et de l’alun, et on couvre le tout d’un drap ou d’une couverture, afin que la vapeur de l’urine ne s’échappe pas ; on retourne les toiles de temps en temps pour y présenter également toute leur surface, ayant bien soin qu’aucun côté ne trempe dans l’urine, autrement la couleur y serait altérée ; on les imbibe une seconde fois de suc de croton et on répète le même procédé ; les toiles ne sont parfaites que quand elles ont acquis un bleu foncé tirant sur le noir. Cette préparation s’appelle tournesol en drapeau. Ces drapeaux sont enfermés dans des sacs et expédiés pour la Hollande où ils subissent une nouvelle préparation, dont plusieurs artistes ont cherché à deviner le secret. Cette préparation consiste à extraire cette teinture des drapeaux et à en former des pains que l’on met dans le commerce sous le nom de tournesol en pâte.
La teinture de tournesol sert à différents usages ; le plus ordinaire est de teindre le papier à sucre. On l’emploie dans les blanchisseries à la place de l’indigo pour les batistes que l’on passe au lait. Les Hollandais s’en servent pour colorer le vin et pour donner une croute violette à leurs fromages. Mêlé à une décoction d’iris, édulcorée avec du sucre, il imite le sirop de violette. Quelques dessinateurs tracent avec le tournesol en pâte, des dessins sur des étoffes à broder. Les limonadiers et les confiseurs s’en servent pour donner une couleur bleue à leur préparations.
Le tournesol dissout dans l’eau s’appelle teinture de tournesol ; il sert à indiquer la présence des gaz acides qui le rougissent à l’instant.
On jette la racine du croton ; le résidu de la plante privée de son suc fait un excellent fumier.
Le gouvernement doit engager les artistes à fabriquer le tournesol en pâte, pour enlever cette branche de commerce aux Hollandais.