LES amis de la raison et de la liberté demandent instamment de voir substituer pour toutes les branches de l’instruction, des livres élémentaires à ceux qui sont actuellement en usage. On rencontre en effet dans tous des traces de royalisme, de féodalité et de superstition, plus propres à énerver les jeunes âmes, qu’à les former aux vertus républicaines. J’en ai senti depuis long temps le vice, sous ce rapport, et je m’occupe de quelques-uns sur les deux parties de l’enseignement que j’ai le plus étudiées, les Antiquités et l’Histoire naturelle. Mes principes à cet égard m’ont paru surtout applicables à un travail sur l’Annuaire Républicain : c’est celui que j’offre aux pères de famille et aux instituteurs patriotes.
La réforme du calendrier est une des opérations les plus philosophiques de toutes celles qui ont signalé, depuis quelques mois, la sagesse et l’énergie de la convention nationale. On ne pouvait pas ajouter à une pensée plus grande que celle de réformer l’ère, et de diviser les mois en décades ; une idée plus ingénieuse que celle de substituer des noms qui nous instruisent de tout ce qui sert à la vie commune et aux besoin de l’humanité, à ceux des tyrans, des moines, des brigands et des imbéciles canonisés par Rome, et sur la vie desquels les légendaires imposteurs ont écrit les contes les plus absurdes et les plus dangereux.
Les différents rapports du comité d’instruction publique ont trop bien fait sentir tous les avantages de cette institution, pour qu’il soit nécessaire de les développer.
Les pères de famille, ceux qui tiennent des écoles publiques ou privées, ont eu jusqu’ici pour habitude de faire apprendre chaque jour aux enfants des fragments de la mythologie hébraïque ou catholique, et de leur lire la vie des imposteurs et des fanatiques que les hagiographes avoient presque déifiés. Ils remplissaient ainsi leur mémoire de récits ridicules qui n’avoient pas, comme les fables ingénieuses de la mythologie des grecs, le mérite de l’enrichir d’images vives et riantes. Ces ouvrages mystiques leur laissaient une impression que la raison la plus exercée ne pouvait quelquefois effacer. Ils les habitaient ainsi à vivre sous le joug des préjugés pour qu’ils ne pussent échapper à l’empire des prêtres.
J’ai pensé qu’un ouvrage élémentaire qui présenterait sur les productions et sur les instruments, dont chaque jour de l’annuaire porte le nom, une explication claire, exacte et précise, serait une substitution heureuse aux traités mystiques et aux légendes, qu’il offrirait un moyen facile d’instruction aux jeunes citoyens, et rappellerait à l’homme formé des faits qu’il peut avoir oubliés.
Il suffira de faire lire chaque jour aux enfants l’article qui lui correspond pour qu’ils aient acquis facilement à la fin de l’année les notions les plus importantes de physique, d’histoire naturelle et d’économie rurale. On pourra dans les écoles faire cette lecture en commun, et le lecteur y ajoutera lui-même ce qu’il jugera nécessaire, selon les temps et les localités.
Une simple définition eût été trop sèche, une description détaillée, aurait trop grossit le volume. J’ai tâché de donner sur chaque objet ce qu’il y a de plus utile et de plus curieux à savoir ; de manière cependant que les divers articles formassent ensemble un petit corps d’instruction aussi complet que l’espace et le sujet l’ont pu permettre. Après avoir vu tous les articles dans leur série chronologique, l’instituteur pourra les faire reprendre à l’élève dans un ordre naturel. Celui qui voudra connaître tout ce qui a rapport à la fabrication du pain, liré dans l’ordre suivant les articles blé, seigle, épautre, orge, terre végétale, fumier, charrue, herse, rouleau, messidor, faucille, chariot, fleau, van, moulin ; celui qui désirera s’instruire de la vinification, ou de l’art de faire le vin, lira de suite les articles, raisin, houe, vendémiaire, cuve, pressoir, tonneau, pomme, poire, orge, houblon. Les articles germinal, floréal, fructidor, fougère, mousse, champignon, lichen, et les noms des différents végétaux, donneront quelques idées de botanique. On trouvera des notions de physique générale dans les articles, ventôse, nivôse, pluviôse, thermidor, et de minéralogie dans tous les noms des jours du mois nivôse, ainsi du reste. La table alphabétique des jours servira à trouver les articles dont on aura besoin ; et celui qui voudra faire cette opération, les rangera dans l’ordre le plus convenable.
Il n’a pas été possible de donner le caractère distinctif de chaque substance, parce que cette définition aurait supposé d’autres connaissances, et demandé beaucoup d’espace. Je me suis principalement attaché aux usages généraux et particuliers de ces différentes substances, et à indiquer les préparations qu’elles subissent pour entrer dans le commerce et dans les arts. Ces idées élémentaires suffiront pour faire désirer aux jeunes républicains des connaissances plus approfondies : il est impossible de toucher le seuil du temple de la nature, sans désirer d’y pénétrer.
Je m’estimerai heureux, si cet ouvrage peut concourir à des instituions dignes d’un peuple pensant, et contribuer à la propagation des principes républicains.
Au nom du Comité d’Instruction Publique.
LA régénération du peuple français, l’établissement de la République, ont entraîné nécessairement la réforme de l’ère vulgaire. Nous ne pouvions plus compter les années où les roise nous opprimaient, comme un temps où nous avions vécu. Les préjugés du trône et de l’église, les mensonges de l’un et de l’autre, souillaient chaque page du calendrier dont nous nous servions. Vous avez réformé, ce calendrier, vous lui en avez substitué un autre, où le temps est mesuré par des calculs plus exacts et plus symétriques, ce n’est pas assez. Une longue habitude du calendrier grégorien a rempli la mémoire du peuple d’un nombre considérable d’images qu’il a longtemps révérés, et qui sont encore aujourd’hui la source de ses erreurs religieuses ; il est donc nécessaire de substituer à ces visions de l’ignorance, les réalités de la raison, et au prestige sacerdotal, la vérité de la nature. Nous ne concevons rien que par des images : dans l’analyse la plus abstraite ; dans la combinaison la plus métaphysique, notre entendement ne se rend compte que par des images ; notre mémoire ne s’appuie et ne se repose que sur des images. Vous devez donc en appliquer à votre nouveau calendrier, si vous voulez que la méthode et l’ensemble de ce calendrier pénètrent avec facilité dans l’entendement du peuple, et se gravent avec rapidité dans son souvenir.
Ce n’est pas seulement à ce but que vous devez tendre ; vous ne devez, autant qu’il est en vous laisser rien pénétrer dans l’entendement du peuple, en matière d’institution, qui ne porte un grand caractère d’utilité publique. Ce vous doit être une heureuse occasion à saisir, que de ramener par le calendrier, livre le plus usuel de tous, le peuple français à l’agriculture. L’agriculture est l’élément politique d’un peuple tel que nous, que la terre, le ciel et la nature regardent avec tant d’amour et de prédilection.
Lorsqu’à chaque instant de l’année, du mois, de la décade et du jour, les regards et la pensée du citoyen se porteront sur une image agricole, sur un bienfait de la nature, sur un objet d’économie rurale ; vous ne devez pas douter que ce ne soit, pour la nation, un grand acheminement vers le système agricole, et que chaque citoyen ne conçoive de l’amour pour les présents réels et effectifs de la nature, qu’il savoure, puisque pendant des siècles, le peuple en a conçu pour des objets fantastiques, pour de prétendus saints qu’il ne voyait pas, et qu’il connaissait encore moins. Je dis plus : les prêtres n’étaient parvenus à donner de la consistance à leurs idoles ; qu’en attribuant à chacune quelque influence directe sur les objets qui intéressent réellement le peuple : c’est ainsi que St.-Jean était le distributeur des moissons, et St.-Marc le protecteur de la vigne.
Si pour appuyer la nécessité de l’empire des images sur l’intelligence humaine, les arguments m’étaient nécessaires, sans entrer dans les analyses métaphysiques, la théorie, la doctrine et l’expérience des prêtres me présenteraient des faits suffisants.
Par exemple. Les prêtres, dont le but universel et définitif est et sera toujours de subjuguer l’espèce humaine et de l’enchaîner sous leur empire ; les prêtres instituaient-ils la commémoration des morts, c’était pour nous inspirer du dégoût pour les richesses terrestres et mondaines, afin d’en jouir plus abondamment eux-mêmes ; c’était pour nous mettre sous leur dépendance, par la fable et les images du purgatoire ? Mais voyez ici leur adresse à se saisir de l’imagination des hommes, et à la gouverner à leur gré. Ce n’est point sur un théâtre riant de fraîcheur et de gaieté, qui nous eût fait chérir la vie et ses délices, qu’ils jouaient cette farce ; c’est le second de novembre qu’ils nous amenaient sur les tombeaux de nos pères ; c’est lorsque le départ des beaux jours, un ciel triste et grisâtre, la décoloration de la terre, et la chute des feuilles remplissaient notre âme de mélancolie et de tristesse ; c’est à cette époque que, profitant des adieux de la nature, ils s’emparaient de nous, pour nous promener à travers l’Avent et leurs prétendues fêtes multipliées, surtout ce que leur impudence avait imaginé de mystique pour les prédestinés, c’est-à-dire, les imbéciles, et de terrible pour le pécheur, c’est-à-dire, le clairvoyant.
Les prêtres, ces hommes, en apparence, ennemis si cruels des passions humaines, et des sentiments les plus doux, voulaient-ils les tourner à leur profit, voulaient-ils que l’indocilité domestique des jeunes amans, la coquetterie, de l’un et de l’autre sexe, l’amour de la parure, la vanité, l’ostentation et tant d’autres affections du bel âge, ramenassent la jeunesse à l’esclavage religieux : ce n’est point dans l’hiver qu’ils l’attiraient à se produire en spectacle ; c’est dans les jours les plus beaux, les plus longs et les plus effervescents de l’année, qu’ils avoient placé, avec profusion, des cérémonies triomphales et publiques, sous le nom de Fête-Dieu ; cérémonies où leur habileté avait introduit tout ce que la mondanité, le luxe et la parure ont de plus séduisant : bien sûrs qu’ils étaient de la dévotion des filles, qui, dans ce jour, seraient moins surveillées ; bien sûrs qu’ils étaient que les sexes, plus à même de se mêler, de se montrer l’un à l’autre, que les coquettes, les vaniteuses, plus à même de se produire et de jouir de l’étalage nécessaire à leurs passions, avaleraient avec le plaisir, le poison de la superstition.
Les prêtres enfin, toujours pour le bénéfice de leur domination, voulaient-ils subjuguer complètement la masse des cultivateurs, c’est-à-dire, presque tout le peuple : c’est la passion de l’intérêt qu’ils mettaient en jeu, en frappant la crédulité des hommes par les images les plus grandes. Ce n’est point sous un soleil brûlant et insupportable qu’ils appelaient le peuple dans les campagnes ; les moissons alors sont serrées, l’espoir du laboureur est rempli ; la séduction n’eût été qu’imparfaite : c’est dans le joli mois de mai, c’est au moment où le soleil naissant n’a point encore absorbé la rosée et la fraîcheur de l’aurore, que les prêtres, environnés de superstition et de recueillement, traînaient les peuplades entières et crédules au milieu des campagnes ; c’est là que, sous le nom de Rogations, leur ministère s’interposait entre le ciel et nous ; c’est là, qu’après avoir à nos yeux déployé la nature dans sa plus grande beauté, qu’après avoir étalé la terre dans toute sa parure, ils semblaient nous dire, et nous disaient effectivement : « C’est nous, prêtres, qui avons reverdi ces campagnes ; c’est nous qui fécondons ces champs d’une si belle espérance ; c’est nous que vos greniers se rempliront : croyez-nous, respectez-nous, enrichissez-nous ; sinon la grêle et le tonnerre, dont nous disposons, vous puniront de votre incrédulité, de votre indocilité, de votre désobéissance. » Alors le cultivateur, frappé par la beauté du spectacle et la richesse des images, croyait, se taisait, obéissait, et facilement attribuait à l’imposture des prêtres les miracles de la nature.
Telle fut parmi nous l’habileté sacerdotale ; telle est l’influence des images.
La commission que vous avez nommée pour rendre le nouveau calendrier plus sensible à la pensée et plus accessible à la mémoire, a donc cru qu’elle remplirait son but, si elle parvenait à frapper l’imagination par les dénominations, et à instruire par la nature et la série des images.
L’idée première qui nous a servi de base, est de consacrer, par le calendrier, le système agricole, et d’y ramener la nation, en marquant les époques et les fractions de l’année, par des signes intelligibles ou visibles pris dans l’agriculture et l’économie rurale.
Plus il est présenté de stations et de points d’appui à la mémoire, plus elle opère avec facilité : en conséquence, nous avons imaginé de donné à chacun des mois de l’année un nom caractéristique, qui exprimât la température qui lui est propre, le genre de productions actuelles de la terre, et qui tout-à-la-fois se fît sentir le genre de saison où il se trouve dans les quatre dont se compose l’année.
Ce dernier effet est produit par quatre désinances affectées chacune à trois mois consécutifs, et produisant quatre sons, dont chacun indique à l’oreille la saison à laquelle il est appliqué.
Nous avons cherché même à mettre à profit l’harmonie imitative de la langue dans la composition et la prosodie de ces mots et dans le mécanisme de leurs désinances ; de telle manière que les noms des mois qui composent l’automne ont un son grave et une mesure moyenne, ceux de l’hiver un son lourd et une mesure longue, ceux du printemps un son gai et une mesure brève, et ceux de l’été un son sonore et une mesure large.
Ainsi, les trois premiers mois de l’année, qui composent l’automne, prennent leur étymologie ; le premier des vendanges, qui ont lieu de septembre à octobre ; ce mois se nomme vendémiaire ; le second, des brouillards et des brumes basses qui sont, si je puis m’exprimer ainsi, la transudation de la nature d’octobre en novembre ; ce mois se nomme brumaire ; le troisième, du froid, tantôt sec, tantôt humide, qui se fait sentir de novembre en décembre ; ce mois se nomme frimaire.
Les trois mois de l’hiver prennent leur étymologie, le premier, de la neige qui blanchit la terre de décembre en janvier ; ce mois se nomme nivôse ; le second, des pluies qui tombent généralement avec plus d’abondance de janvier en février ; ce mois se nomme pluviose ; le troisième, des giboulées qui ont eu lieu, et du vent qui vient sécher la terre de février en mars ; ce mois se nomme ventôse.
Les trois mois du printemps prennent leur étymologie, le premier, de la fermentation et du développement de la sève de mars en avril : ce mois se nomme germinal ; le second, de l’épanouissement des fleurs d’avril en mai ; ce mois se nomme floréal ; le troisième, de la fécondité riante et de la récolte des prairies de mai en juin ; ce mois se nomme prairial.
Les trois mois de l’été enfin prennent leur étymologie, le premier, de l’aspect des épis ondoyants et des moissons dorées qui couvrent les champs de juin en juillet ; ce mois se nomme messidor ; le second, de la chaleur tout-à-la-fois solaire et terrestre, qui embrase l’air de juillet en août ; ce mois se nomme Thermidor ; mûrit d’août en septembre ; ce mois se nomme fructidor. Ainsi donc les noms des mois sont :
AUTOMNE HIVER
Vendemiaire. Nivôse.
Brumaire. Pluviôse.
Frimaire. Ventôse.
PRINTEMPS ETE
Germinal. Messidor.
Floréal. Thermidor.
Prairial. Fructidor.
Il résulte de ces dénominations, ainsi que je l’ai dit, que, par la seule prononciation du nom du mois, chacun sentira parfaitement trois choses, et tous leurs rapports, le genre de saison où il se trouve, la température et l’état de la végétation. C’est ainsi que dès le premier de germinal, il se peindra sans effort à l’imagination, par la terminaison du mot, que le printemps commence ; par la construction et l’image que présente le mot, que les agents élémentaires travaillent ; par la signification du mot, que les germes se développent.
Après la dénomination des mois, nous nous sommes occupés des fractions du mois ; et nous avons vu que les fractions des mois, étant périodiques, et revenant trois fois par mois et trente-six fois par an, étaient déjà fort bien nommées décades, ou révolution de dix jours ; que ce mot générique convenait à une chose qui, trente-six fois répétée, ne pourrait être représentée à l’oreille par des images locales, sans entraîner de la confusion ; que d’ailleurs des décades n’étant que des fractions numériques, ne doivent avoir qu’une dénomination commune et numérique dans tout le cours de l’année, et qu’il suffit du nom du mois, pour donner, à chaque période de trois décades, la couleur des images et des accidents des mois qui les renferment.
Quant aux jours, nous avons observé qu’ils avoient quatre mouvements complexes, qui devaient être empreints bien distinctement dans notre mémoire et présents à la pensée, de quatre manières différentes. Ces quatre mouvements sont le mouvement diurne ou le passage d’un jour à l’autre ; le mouvement décadaire ou le passage d’une décade à l’autre, le mouvement mensiaire ou le passage d’un mois à l’autre ; et le mouvement annuel ou la période scolaire.
Le défaut du calendrier, tel que vous l’avez décrété, est de ne signaler que les jours, les décades, les mois et l’année que par une même dénomination, par les nombres ordinaux ; de sorte que le chiffre 1, qui n’offre qu’une quantité abstraite et point d’image, s’applique également à l’année, au mois, à la semaine et au jour, si bien qu’il a fallu dire, le premier jour de la première décade du premier mois de la première année ; locution abstraite, sèche, vide d’idées, pénible par sa prolixité, et confuse dans l’usage civil, surtout après l’habitude du calendrier grégorien.
Nous avons pensé qu’à l’instar du calendrier grégorien, dont les jours de la semaine portent l’empreinte de l’astrologie judiciaire, (préjugé ridicule qu’il faut rejeter), nous devions créer des noms pour chacun des jours de la décade ; nous avons pensé encore que puisque ces noms se répétaient, chacun trente-six fois par an, il fallait les priver d’images, qui, locale pour leur essence, demeureraient sans rapport avec les trente-six stations de chacun de ces noms ; enfin, nous nous sommes aperçus que ce serait un grand appui pour la mémoire, si nous venions à bout, en distinguant les noms des jours de la décade des nombres ordinaux, de conserver néanmoins la signification de ces nombres dans un mot composé, de sorte que nous pussions profiter tout-à-la-fois, dans le même mot, et des nombres, et d’un nom différent des nombres.
Ainsi nous disons pour exprimer les dix jours de la décade :
Primedi. Sextidi.
Duodi. Septidi.
Tridi. Octidi.
Quartidi. Nonidi.
Quintidi. Décadi.
De cette manière, la différence de primedi à duodi, exprime le passage du premier au second jour de la décade. Voilà le premier mouvement des jours : les nombres ordinaux, depuis 1 jusqu’à 30, expriment le troisième mouvement, le mouvement mensiaire ; la combinaison de ces nombres ordinaux avec les noms primedi, duodi, etc., expriment le second mouvement, le mouvement décadaire ; ainsi 11 du mois et primedi, présenteront l’idée du premier jour de la seconde décade, ainsi de suite.
L’avantage bien sensible que l’on va retirer de la conservation des nombres ordinaux, dans les composés primedi, duodi, tridi, etc., est que le quantième du mois sera toujours présent à la mémoire, sans qu’il soit besoin de recourir au calendrier matériel.
Par exemple, il suffit de savoir que le jour actuel est tridi, pour être certain que c’est aussi le 3 ou le 13, ou le 23 du mois, comme avec quartidi, le 4 ou le 14, ou le 24 du mois, ainsi de suite.
On sait toujours à peu près si le mois est à son commencement, à son milieu ou à sa fin : ainsi, l’on dira tridi est le 3 au commencement du mois, le 13 au milieu, le 23 à la fin.
Or ce calcul très simple ne pourrait s’effectuer, si les nombres ordinaux, qui sont ici les dénominateurs du quantième, n’entraient point dans la composition des noms du jour de la décade.
Il nous reste à exprimer le quatrième mouvement qui est le mouvement annuel. C’est ici que nous allons rentrer dans notre idée fondamentale, et puiser, dans l’agriculture, de quoi reposer la mémoire et répandre l’instruction rurale dans la supputation et le cours de l’année.
Il faut d’abord remarquer qu’il est deux manières de frapper l’entendement dans la composition du calendrier : on le frappe mémorialement et par la parole ; alors il faut que les divisions et les dénominations soient de nature à être retenues, comme on dit, par cœur, et c’est à quoi nous pensons avoir pourvu dans la dénomination des saisons, des mois et des jours de décade ; on frappe encore l’entendement par la lecture, et ici la mémoire n’a plus à opérer. Le calendrier étant une chose à laquelle on a si souvent recours, il faut profiter de la fréquence de cet usage, pour glisser parmi le peuple les notions rurales élémentaires, pour lui montrer les richesses de la nature, pour lui faire aimer les champs, et lui désigner, avec méthode, l’ordre des influences du ciel et des productions de la terre.
Les prêtres avoient assigné à chaque jour de l’année la commémoration d’un prétendu saint ; ce catalogue ne présentait ni utilité ni méthode ; il était le répertoire du mensonge, de la duperie ou du charlatanisme.
Nous avons pensé que la nation, après avoir chassé cette foule de canonisés de son calendrier, devait y retrouver en place tous les objets qui composent la véritable richesse nationale, les dignes objets, sinon de son culte, au moins de sa culture ; les utiles productions de la terre, les instruments dont nous nous servons pour la cultiver, et les animaux domestiques, nos fidèles serviteurs dans ces travaux ; animaux bien plus précieux, sans doute, aux yeux de la raison, que les squelettes béatifiés tirés des catacombes de Rome.
En conséquence, nous avons rangé par ordre dans la colonne de chaque mois, les noms de vrais trésors de l’économie rurale. Les grains, les pâturages, les arbres, les racines, les plantes, sont disposés dans le calendrier, de manière que la place et le quanteisme que chaque production occupe, est précisément le temps et le jour où la nature nous en fait présent.
A chaque quintidi, c’est-à-dire, à chaque demi-décade, les 5, 15 et 25 de chaque mois, est inscrit un animal domestique, avec rapport précis entre la date de cette inscription et l’utilité réelle de l’animal inscrit.
Chaque décadi est marqué par le nom d’un instrument
instrument aratoire, le même dont l’agriculteur se sert, au temps précis où il est placé ; de sorte que, par opposition, le laboureur, dans le jour de repos, retrouvera consacré, dans le calendrier, l’instrument qu’il doit reprendre le lendemain : idée ce me semble touchante, qui ne peut qu’attendrir nos nourriciers, et leur montrer enfin, qu’avec la république, est venu le temps où un laboureur est plus estimé que tous les rois de la terre ensemble, et l’agriculture comptée comme le premier des arts de la société civile.
Il est aisé de voir qu’au moyen de cette méthode, il n’y aura pas de citoyen en France, qui, dès sa plus tendre jeunesse, n’ai fait insensiblement, et sans s’en apercevoir, une étude élémentaire de l’économie rurale ; il n’est pas même aujourd’hui de citadin, homme fait, qui ne puisse en peu de jours apprendre dans ce calendrier, ce qu’à la honte de nos mœurs il a ignoré jusqu’à cette heure ; apprendre, dis-je, en quel temps la terre nous donne telle production, et en quel temps telle autre. J’ose dire ici que c’est ce que n’ont jamais su bien des gens, très-instruits dans plus d’une science urbaine, fastueuse ou frivole.
Je dois observer qu’il est un mois dans l’année où la terre est scellée, et communément couverte de neige, c’est le mois nivôse : c’est le temps du repos de la terre ; ne pouvant trouver sur sa surface de production végétale et agricole pour figurer dans ce mois, nous y avons substitué les productions, les substances du règne animal et minéral, immédiatement utiles à l’agriculture ; nous avons cru que rien de ce qui est précieux à l’économie rurale ne devait échapper aux hommages et aux méditations de tout homme qui veut être utile à sa patrie.
Il reste à vous parler des jours d’abord nommés épagomènes, ensuite complémentaires.
Ce mot n’était que didactique, par conséquent sec, muet pour l’imagination ; il ne présentait au peuple qu’une idée froide, qu’il rend vulnérable lui-même par la périphrase de solde de compte, ou par le barbarisme de définition. Nous avons pensé qu’il fallait pour ces cinq jours une dénomination collective, qui portât un caractère national, capable d’exprimer la joie et l’esprit du peuple français, dans les cinq jours de fête qu’il célèbrera eu terme de chaque année.
Il nous a paru possible, et surtout juste, de consacrer par un mot nouveau l’expression de sans culotte qui en serait l’étymologie.
D’ailleurs une recherche aussi intéressante que curieuse, nous apprend que les aristocrates, en prétendant nous avilir par l’expression de sans culotte, n’ont pas eu même le mérite de l’invention.
Dès la plus haute antiquité, les Gaulois, nos aïeux, s’étaient fait honneur de cette dénomination. L’histoire nous apprend qu’une partie de la Gaule, dite ensuite Lyonnaise était appelée la Gaule culottée, Gallia braccata : par conséquent le reste des Gaules, jusqu’au bord du Rhin, était la Gaule non-culottée ; nos pères dès-lors étaient donc des sans-culottes. Quoi qu’il en soit de l’origine de cette dénomination antique ou moderne, illustrée par la liberté, elle doit nous être chère : c’en est assez pour la consacrer solennellement. Nous appellerons donc les cinq jours collectivement pris les SANCULOTTIDES.
Les cinq jours des sanculottides, composant une demi-décade, seront dénommés Primedi, Duodi, Tridi, Quartidi, Quintidi ; et dans l’année bissextile le sixième jour Sextidi : le lendemain l’année recommencera par Primedi premier de Vendémiaire.
Nous terminerons ce rapport par l’idée que nous avons conçue relativement aux cinq fêtes consécutives des sanculottides ; nous ne vous en développerons que la nature. Nous vous proposerons seulement d’en décréter le principe et le nom, et d’en renvoyer la disposition et le mode à votre comité d’instruction.
Le Primedi premier des sanculottides, sera consacré à l’attribut le plus précieux & le plus relevé de l’espèce humaine, à l’intelligence qui nous distingue du reste de la création. Les conceptions les plus grandes, les plus utiles à la patrie, sous quelque rapport que ce puisse être, soit dans les arts, les sciences, les métiers, soit en matière de législation, de philosophie ou de morale, en un mot, tout ce qui tient à l’invention et aux opérations créatrices de l’esprit humain, sera préconisé publiquement, et avec une pompe nationale, ce jour Primedi, premier des sanculottides.
Cette fête s’appellera la fête du Génie.
Le Duodi, deuxième des sanculottides, sera consacré à l’industrie et à l’activité laborieuse ; les actes de constance dans le labeur, de longanimité dans la confection des choses utiles à la patrie, enfin tout ce qui aura été fait de bon, de beau et de grand dans les opérations manuelles ou mécaniques, et dont la société peut retirer de l’avantage, sera préconisé publiquement avec une pompe nationale, ce jour Duodi, deuxième des sanculottides.
Cette fête s’appellera la fête du Travail.
Le tridi, troisième des sanculottides, sera consacré aux grandes, aux belles, aux bonnes actions individuelles : elles seront préconisées publiquement et avec une pompe nationale ; cette fête s’appellera la fête des Actions.
Le quartidi, quatrième des sanculottides, sera consacré à la cérémonie du témoignage public et de la gratitude nationale envers ceux qui, dans les trois jours précédents, auront été préconisés, et auront mérité les bienfaits de la nation ; la distribution en sera faite publiquement, et avec une pompe nationale, sans autre distinction entre les préconisés que la chose même, et du prix plus ou moins grand qu’elle aura mérité.
Cette fête s’appelle la fête des Récompenses.
Le quintidi, cinquième et dernier des sanculottides, se nommera la fête de l’Opinion.
Ici s’élève un tribunal d’une espèce nouvelle, et tout-à-la-fois gaie et terrible.
Tant que l’année a duré, les fonctionnaires publics, dépositaires de la loi et de la confiance nationale, ont dû prétendre et ont obtenu le respect du peuple et sa soumission aux ordres qu’ils ont donnés au nom de la loi ; ils ont dû se rendre dignes non-seulement de ce respect, mais encore de l’estime et de l’amour de tous les citoyens : s’ils y ont manqué, qu’ils prennent garde à la fête de l’Opinion, malheur à eux ! Ils seront frappés, non dans leur fortune, non dans leur personne, non même dans le plus petit de leurs droits de citoyen, mais dans l’opinion. Dans le jour unique et solennel de la fête de l’opinion ; la loi ouvre la bouche à tous les citoyens sur le moral, le personnel et les actions des fonctionnaires publics ; la loi donne carrière à l’imagination plaisante et gaie des Français. Permis à l’opinion dans ce jour de se manifester sur ce chapitre de toutes les manières : les chansons, les allusions, les caricatures, les pasquinades, le sel de l’ironie, les sarcasmes de la folie, seront dans ce jour le salaire de celui des élus du peuple ; qui l’aura trompé ou qui s’en fera mésestimer ou haïr. L’animosité particulière, les vengeances privées ne sont point à redouter ; l’opinion elle-même ferait justice du téméraire détracteur d’un magistrat estimé.
C’est ainsi que par son caractère même, par sa gaieté naturelle, le peuple français conservera ses droits et sa souveraineté ; on ne corrompt pas l’opinion. Nous osons le dire, ce seul jour de fête contiendra mieux les magistrats dans leur devoir, pendant le cours de l’année, que ne le feraient les lois même de Dracon et tous les tribunaux de France. La plus terrible et la plus profonde des armes françaises contre les Français, c’est le ridicule : le plus politique des tribunaux, c’est celui de l’opinion ; et si l’on veut approfondir cette idée et en combiner l’esprit avec le caractère national, on trouvera que cette fête de l’opinion seule est le bouclier le plus efficace contre les abus et les usurpations de toute espèce.
Telle est la nature des cinq fêtes des sanculottides : tous les quatre ans, au terme de l’année bissextile, le sextidi ou sixième jour des sanculottides, des jeux nationaux seront célébrés. Cette époque d’un jour sera par excellence nommée LA SANCULOTTIDE, et c’est assurément le nom le plus analogue au rassemblement des diverses portions du peuple français, qui viendront de toutes les parties de la République célébrer à cette époque la liberté, l’égalité, cimenter dans leurs embrassements la fraternité française, et jurer au nom de tous, sur l’autel de la Patrie, de vivre et de mourir libres et en braves sans-culottes.